Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (2024)

France / Terrorisme

Martin Legros publié le 3 min

Dans “La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens”, Olivier Galland et Anne Muxel ont mené une enquête afin de mesurer le degré de radicalité religieuse des jeunes, notamment musulmans. Au prix d’une confusion entre le radicalisme et le fanatisme.

85

Depuis les attaques de 2015 contre Charlie Hebdo et le Bataclan jusqu’à celle du supermarché de Trèbes, en mars dernier, à chaque nouvel attentat, le concept de radicalisation surgit pour rendre compte du passage à l’acte terroriste. Mais qu’entend-on par ce terme ? Et ne serait-il pas plus pertinent de parler de fanatisme plutôt que de radicalisme –un terme chargé historiquement qui évoque davantage l’engagement résolu au nom d’idéaux révolutionnaires que le fanatisme mortifère des terroristes.

En sociologie, deux camps s’opposaient jusqu’ici : d’un côté, ceux qui, avec Olivier Roy, soutiennent que les nouveaux terroristes sont des jeunes en proie à une «révolte nihiliste», qui se saisissent de l’islam comme d’un label –ils parlent d’«islamisation de la radicalité» ; de l’autre, ceux qui, avec Gilles Kepel, s’attachent au rôle central joué par le salafisme qui a pris le contrôle idéologique d’une partie de la communauté musulmane –ils parlent de «radicalisation de l’islam».

L’un des principaux mérites du livre d’Olivier Galland et Anne Muxel, La Tentation radicale (PUF, avril 2018), est de trancher ce débat –en faveur de Kepel. Ils ont soumis un questionnaire à 7 000élèves de seconde répartis dans 23lycées, avec une forte proportion d’origine populaire, immigrée et de confession musulmane –un biais assumé–, et certains ont été interviewés par la suite. Les auteurs ont cherché à mesurer deux points. D’abord, le degré de radicalité politique de la jeunesse, qui peut être de «de protestation» dans le cadre de la légitimité démocratique ou «de rupture» marquée par une opposition frontale avec le système et une justification de la violence. Et, sur ce versant, il apparaît que si la culture de la protestation est largement répandue (77%), on voit aussi monter chez une frange non négligeable, près de 34%, un sentiment de révolte qui conduit à considérer que la violence politique peut être justifiée. Ensuite, Galland et Muxel se sont attachés à la radicalité religieuse, en posant des questions telles que : «Y a-t-il une seule vraie religion ?»,«Est-il acceptable de combattre les armes à la main pour sa religion ?» Et, sur ce terrain, leur conclusion est nette : il y a un «effet islam» qui pousse une minorité de jeunes musulmans à «un absolutisme religieux» sur le plan de la croyance doublé d’une tolérance pour la violence, «et ces attitudes ne sont associées ni aux caractéristiques socio-économiques des familles ni à leurs performances scolaires, ni à leur optimisme ou pessimisme en matière d’accès à l’emploi». La radicalité religieuse n’est pas «fille de l’exclusion», «sa racine est spécifiquement religieuse», précisent-ils.

Cependant, rien n’indique qu’il y ait une convergence entre la montée en puissance des radicalités politique et religieuse ; au contraire, à la lecture des entretiens menés, les acteurs semblent distincts, de même que leurs motivations. Entre Notre-Dame-des-Landes et le nouvel esprit djihadiste, la rupture est en effet manifeste. On ressent donc un malaise lorsque Galland et Muxel établissent une ligne de continuité entre l’attrait pour le désordre d’une jeunesse avide de changements, d’un côté, et, le fanatisme autoritaire d’une autre frange de la jeunesse, de l’autre. Tout cela, au nom d’une définition très vague de la radicalité : «un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système et avec les normes en vigueur». En les lisant, on prend con­science de l’erreur qui a été commise, toutes ces années, en employant ce beau mot de radicalité pour penser le terrorisme islamique. Car on con­fond alors la radicalité –la décision d’aller en acte comme en pensée à la racine des choses (du latin radix)– avec l’emprise délétère et violente que peut exercer un dogme religieux sur les esprits –soit le fanatisme. Face à un tel dévoiement, on se souvient de la formule de Marx dans un texte consacré à la critique de la religion : «Être radical, c’est saisir les choses à la racine, mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même […] la preuve évidente du radicalisme […], c’est que son point de départ est l’abolition radicale et positive de la religion.» Jouer la radicalité contre le fanatisme, serait-ce devenu un programme trop radical pour notre temps ?

Expresso : les parcours interactifs

Sur le même sujet

Article

5 min

Frédéric Worms: “L’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile”

Michel Eltchaninoff

Autant que le terrorisme islamiste, c’est la caisse de résonance que fournissent Internet et les réseaux sociaux à tous les discours extrémistes…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (2)

Article

4 min

Une instance de dialogue avec l’islam pour prévenir la radicalisation

Cédric Enjalbert

Une “instance de dialogue avec l’islam” s’est réunie au ministère de l’Intérieur, ce lundi 21 mars 2016. L’objectif? Réfléchir à la prévention de…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (3)

Article

10 min

Franck Frégosi: “Plus qu’un islam de France, il y a des islams de France”

Octave Larmagnac-Matheron

De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque “l’islam de France”? Les tensions actuelles au sein du Conseil français du culte musulman(CFCM)…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (4)

Article

3 min

La croisade de Greta Thunberg

Martin Legros

Admirée par les jeunes du monde entier et accusée par certains de propager une idéologie de la peur, cette Suédoise de 16ans au visage…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (5)

Article

2 min

Michael Walzer: des puritains aux fanatiques

Sven Ortoli

Dans son premier livre, La Révolution des Saints (1965), le philosophe américain Michael Walzer faisait un lien entre l’éthique protestante et le radicalisme politique. À la différence de Machiavel, Bodin et Luther, notait-il, les…

Article

8 min

Roxane Hamery : “Rien ne permet de prouver que les films violents aient une mauvaise influence sur la jeunesse”

Ariane Nicolas

La série Squid Game, très populaire dans les cours de récré, inquiète de nombreux parents. Les images violentes pourraient-elles avoir une…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (6)

Article

5 min

La jeunesse, grande oubliée des politiques?

Jean-Marie Durand

Dans un court essai documenté et pertinent, le sociologue Camille Peugny invite à repenser notre conception politique,et philosophique,&nbsp…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (7)

Article

4 min

Whitney Snead : “Dans ma formation en études classiques, j’ai été réduite au silence et à la honte”

Whitney Snead

Whitney Snead est “Faculty Advisor” au Classical Studies Program de Villanova University. Passionnée par la Grèce antique, elle a étudié et…

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (8)

Qu’est-ce qu’être radical aujourd’hui ? (2024)
Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Duane Harber

Last Updated:

Views: 5924

Rating: 4 / 5 (71 voted)

Reviews: 86% of readers found this page helpful

Author information

Name: Duane Harber

Birthday: 1999-10-17

Address: Apt. 404 9899 Magnolia Roads, Port Royceville, ID 78186

Phone: +186911129794335

Job: Human Hospitality Planner

Hobby: Listening to music, Orienteering, Knapping, Dance, Mountain biking, Fishing, Pottery

Introduction: My name is Duane Harber, I am a modern, clever, handsome, fair, agreeable, inexpensive, beautiful person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.