France / Terrorisme
Martin Legros publié le 3 min
Dans “La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens”, Olivier Galland et Anne Muxel ont mené une enquête afin de mesurer le degré de radicalité religieuse des jeunes, notamment musulmans. Au prix d’une confusion entre le radicalisme et le fanatisme.
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Depuis les attaques de 2015 contre Charlie Hebdo et le Bataclan jusqu’à celle du supermarché de Trèbes, en mars dernier, à chaque nouvel attentat, le concept de radicalisation surgit pour rendre compte du passage à l’acte terroriste. Mais qu’entend-on par ce terme ? Et ne serait-il pas plus pertinent de parler de fanatisme plutôt que de radicalisme –un terme chargé historiquement qui évoque davantage l’engagement résolu au nom d’idéaux révolutionnaires que le fanatisme mortifère des terroristes.
En sociologie, deux camps s’opposaient jusqu’ici : d’un côté, ceux qui, avec Olivier Roy, soutiennent que les nouveaux terroristes sont des jeunes en proie à une «révolte nihiliste», qui se saisissent de l’islam comme d’un label –ils parlent d’«islamisation de la radicalité» ; de l’autre, ceux qui, avec Gilles Kepel, s’attachent au rôle central joué par le salafisme qui a pris le contrôle idéologique d’une partie de la communauté musulmane –ils parlent de «radicalisation de l’islam».
L’un des principaux mérites du livre d’Olivier Galland et Anne Muxel, La Tentation radicale (PUF, avril 2018), est de trancher ce débat –en faveur de Kepel. Ils ont soumis un questionnaire à 7 000élèves de seconde répartis dans 23lycées, avec une forte proportion d’origine populaire, immigrée et de confession musulmane –un biais assumé–, et certains ont été interviewés par la suite. Les auteurs ont cherché à mesurer deux points. D’abord, le degré de radicalité politique de la jeunesse, qui peut être de «de protestation» dans le cadre de la légitimité démocratique ou «de rupture» marquée par une opposition frontale avec le système et une justification de la violence. Et, sur ce versant, il apparaît que si la culture de la protestation est largement répandue (77%), on voit aussi monter chez une frange non négligeable, près de 34%, un sentiment de révolte qui conduit à considérer que la violence politique peut être justifiée. Ensuite, Galland et Muxel se sont attachés à la radicalité religieuse, en posant des questions telles que : «Y a-t-il une seule vraie religion ?»,«Est-il acceptable de combattre les armes à la main pour sa religion ?» Et, sur ce terrain, leur conclusion est nette : il y a un «effet islam» qui pousse une minorité de jeunes musulmans à «un absolutisme religieux» sur le plan de la croyance doublé d’une tolérance pour la violence, «et ces attitudes ne sont associées ni aux caractéristiques socio-économiques des familles ni à leurs performances scolaires, ni à leur optimisme ou pessimisme en matière d’accès à l’emploi». La radicalité religieuse n’est pas «fille de l’exclusion», «sa racine est spécifiquement religieuse», précisent-ils.
Cependant, rien n’indique qu’il y ait une convergence entre la montée en puissance des radicalités politique et religieuse ; au contraire, à la lecture des entretiens menés, les acteurs semblent distincts, de même que leurs motivations. Entre Notre-Dame-des-Landes et le nouvel esprit djihadiste, la rupture est en effet manifeste. On ressent donc un malaise lorsque Galland et Muxel établissent une ligne de continuité entre l’attrait pour le désordre d’une jeunesse avide de changements, d’un côté, et, le fanatisme autoritaire d’une autre frange de la jeunesse, de l’autre. Tout cela, au nom d’une définition très vague de la radicalité : «un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système et avec les normes en vigueur». En les lisant, on prend conscience de l’erreur qui a été commise, toutes ces années, en employant ce beau mot de radicalité pour penser le terrorisme islamique. Car on confond alors la radicalité –la décision d’aller en acte comme en pensée à la racine des choses (du latin radix)– avec l’emprise délétère et violente que peut exercer un dogme religieux sur les esprits –soit le fanatisme. Face à un tel dévoiement, on se souvient de la formule de Marx dans un texte consacré à la critique de la religion : «Être radical, c’est saisir les choses à la racine, mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même […] la preuve évidente du radicalisme […], c’est que son point de départ est l’abolition radicale et positive de la religion.» Jouer la radicalité contre le fanatisme, serait-ce devenu un programme trop radical pour notre temps ?
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